Mercure

EcologieUne

Le thon révèle les disparités régionales du mercure océanique

Le mercure est principalement émis dans l’atmosphère par des sources naturelles et anthropiques. Cet élément a aussi tendance à se diffuser dans l’océan, où une fraction est naturellement convertie en méthylmercure (MeHg) neurotoxique qui se bio-accumule dans les réseaux alimentaires marins. Des niveaux élevés de MeHg ont été observés dans le thon du Pacifique, mais les facteurs influençant la dispersion spatiale du MeHg dans l’océan ne sont pas clairs. Anaïs Médieu et al. ont mesuré les concentrations en mercure dans le thon listao dans six régions différentes de l’océan Pacifique. Les auteurs ont constaté que les niveaux étaient les plus élevés dans le nord-ouest de l’océan Pacifique, qui abrite des niveaux 1,5 à 2 fois plus élevés que dans les régions du centre, du nord et de l’est, et des niveaux 4 à 5 fois plus élevés que dans les régions du sud, de l’ouest et du centre-ouest du Pacifique. Les travaux de modélisation suggèrent que des facteurs biogéochimiques associés au fonctionnement naturels des océans tels que des conditions pauvres en oxygène et des processus bactériens peu profonds, pourraient faciliter une biodisponibilité accrue du MeHg à la base des réseaux alimentaires marins. Cependant, les résultats suggèrent également que les niveaux plus élevés de mercure atmosphérique, en particulier le long des côtes asiatiques, provenant probablement des émissions anthropiques locales récentes ainsi que des apports de mercure par les rivières contribuent aux niveaux plus élevés de mercure dans le thon listao de cette région. Selon les auteurs, ces résultats permettent de mieux comprendre les schémas spatiaux de l’influence humaine et naturelle marine sur la bioaccumulation du mercure dans le thon.

Carnassiers, situés dans les échelons supérieurs de la chaîne trophique, les thons accumulent le methylmercure consommé par leurs proies. © IRD / Ifremer
Banc de thons dans l’Ocean Indien – Carnassiers, situés dans les échelons supérieurs de la chaîne trophique, les thons accumulent le methylmercure consommé par leurs proies. © IRD / Ifremer

Retrouvez l’actualité scientifique sur le site de l’IRD.

Contact GET: David Point (CR IRD)

Sources :

Preuve que les niveaux de mercure du thon du Pacifique sont déterminés par la production de méthylmercure dans les océans et les apports anthropiques
Anaïs Médieu, David Point, Takaaki Itai, Hélène Angot, Pearse J. Buchanan, Valérie Allain, Leanne Fuller, Shane Griffiths, David P. Gillikin, Jeroen E. Sonke, Lars-Eric Heimbürger-Boavida, Marie-Maëlle Desgranges, Christophe E. Menkes, Daniel J. Madigan, Pablo Brosset, Olivier Gauthier, Alessandro Tagliabue, Laurent Bopp, Anouk Verheyden & Anne Lorrain. Evidence that Pacific tuna mercury levels are driven by marine methylmercury production and anthropogenic inputs, PNAS, 11 janvier 2022 ; https://doi.org/10.1073/pnas.2113032119

EcologieUne

Sur les traces du mercure océanique

Le mercure, gaz polluant provenant de la combustion du charbon et des activités minières, retombe vers l’océan où il s’accumule dans la chaine alimentaire marine, avec de graves conséquences pour l’alimentation et la santé humaine. Une nouvelle étude, publiée le 29 septembre 2021 dans Nature, montre que, contrairement aux hypothèses précédentes, le mercure n’est pas principalement apporté par les eaux de pluie mais que l’océan le « respire »1. Ces travaux suggèrent également que les océans reçoivent moins de mercure atmosphérique qu’estimé précédemment, bien que cela ne présage pas, à l’heure actuelle, d’une diminution de la contamination des poissons.

Dans le contexte de la Convention de Minamata sur le mercure, entrée en vigueur en 20172, des politiques de réduction des émissions de mercure sont élaborées, ce qui devrait avoir un impact direct sur le mercure dans les océans et dans nos assiettes. Ces travaux ont été menés par une équipe internationale impliquant des scientifiques du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier/Cnes/IRD) et de l’Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/Aix-Marseille Université/IRD/Université de Toulon), et du laboratoire Environmental Geosciences de l’université de Bâle (Suisse).

#
Vue de la station marine d’Endoume à Marseille (Aix-Marseille Université /CNRS) © Lars-Eric Heimbürger-Boavida, Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/ Aix-Marseille Université/ IRD/Université de Toulon)
#
RV Antedon II, un bateau scientifique appartenant à la DT INSU-CNRS. Ces deux images illustrent la méthodologie des scientifiques, qui ont effectué des prélèvements dans deux types d’environnement afin de pouvoir l’appliquer à d’autres océans. © Lars-Eric Heimbürger-Boavida, Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/ Aix-Marseille Université/ IRD/Université de Toulon)

Bibliographie

Mercury stable isotopes constrain atmospheric sources to the ocean. Martin Jiskra, Lars-Eric Heimbürger-Boavida, Marie-Maëlle Desgranges, Mariia V. Petrova, Aurélie Dufour, Beatriz Ferreira-Araujo, Jérémy Masbou, Jérome Chmeleff, Melilotus Thyssen, David Point & Jeroen E. Sonke. Le 29 septembre 2021, Nature. DOI : 10.1038/s41586-021-03859-8

Contacts

Notes

  1. Le mercure est absorbé par la surface des océans lors d’échanges gazeux.
  2. La convention de Minamata sur le mercure est une convention internationale développée sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Elle vise à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes du mercure.

Source CNRS-INSU : actualité

EcologieUne

Une pollution atmosphérique au mercure inégale entre les hémisphères nord et sud

Le mercure (Hg) est un métal-trace toxique qui affecte la faune et la santé humaine. Il est rejeté dans l’environnement par des processus naturels (volcanisme, altération de la croûte terrestre…), mais aussi par les activités humaines (exploitation minière, combustion du charbon…). Le Hg élémentaire, la forme dominante des émissions, a un temps de résidence de 6 à 12 mois dans l’atmosphère, ce qui permet sa dispersion au sein de chaque hémisphère avant son dépôt en surface, y compris dans les environnements les plus isolés.
Les évaluations de la pollution mondiale au Hg s’appuient sur les archives naturelles que sont les sédiments lacustres, les tourbières ou les glaciers et sur les estimations des émissions naturelles et anthropiques de Hg. La dernière évaluation mondiale du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP) sur le Hg (2018) indique que « Les activités humaines ont augmenté les concentrations atmosphériques totales de Hg d’environ 450 % (soit un facteur 4,5) par rapport aux niveaux naturels d’avant le XVe siècle ». Cependant, la plupart des études ont été menées dans l’hémisphère nord où la majorité des émissions anthropiques de Hg ont eu lieu.

Une équipe internationale1 a exploré l’évolution millénaire de l’enrichissement en mercure dans les hémisphères nord (HN) et sud (HS). Pour ce faire, elle a examiné les taux d’accumulation du Hg publiés par une centaine d’études portant sur les archives de sédiments et de tourbes des 2 hémisphères, ainsi que les taux mesurés de quatre nouvelles tourbières de l’HS provenant de l’île d’Amsterdam, des îles Malouines et de la Terre de Feu.
Leur étude montre que l’atmosphère de l’HN s’est enrichie en Hg d’un facteur 16 depuis le XVe siècle, soit trois fois plus que ce qu’indique l’évaluation de l’UNEP, alors que celle de l’HS ne s’est enrichi que d’un facteur 4. Les chercheurs attribuent cette différence aux faibles émissions anthropiques de Hg dans l’HS et aux niveaux naturels plus élevés du Hg dans l’atmosphère de l’HS. Ces résultats suggèrent que la différence dans les niveaux atmosphériques de fond de Hg dans l’HS et l’HN (respectivement 0,4 et 0,2 ng/m3) devrait être prise en compte dans les politiques environnementales.

to d'une tourbière en Terra del Fuego.
Tourbière en Tierra del Fuego. © F De Vleeschouwer, IFAECI

Financement

L’étude a été financée par les Programmes IPEV 1066 « PARAD » et 1065 « PALATIO » et par H2020 ERA-PLANET (689443) iGOSP and iCUPE.

En savoir plus

Unequal anthropogenic enrichment of mercury in Earth’s northern and southern hemispheres. Chuxian Li, Jeroen E. Sonke, Gaël Le Roux, Natalia Piotrowska, Nathalie Van der Putten, Stephen J. Roberts, Tim Daley, Emma Rice, Roland Gehrels, Maxime Enrico, Dmitri Mauquoy, Thomas P. Roland, François De Vleeschouwer. Earth & Space Chemistry. https://dx.doi.org/10.1021/acsearthspacechem.0c00220

Notes

  1. Les laboratoires français impliqué sont le Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (OMP, CNRS / UPS / INP Toulouse) et le laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / CNRS / IRD / CNES) et l’Institut franco-argentin d’études sur le climat et ses impacts (IFAECI, Université de Buenos Aires / CONICET / CNRS).

Contacts

OceanographieTerre interne

L’océan Arctique exporte du mercure vers l’océan Atlantique

Plusieurs bilans de mercure réalisés par différentes équipes indiquent qu’il y aurait une exportation nette de mercure de l’Arctique vers l’Atlantique, via le détroit de Fram, seul lien profond entre ces deux océans. Cependant, ces estimations étaient par trop approximatives du fait qu’elles ne se basaient pas sur des observations.

Suite à leur précédente étude sur l’export du mercure vers les profondeurs de l’océan Arctique (https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/flux-dexport-du-mercure-en-arctique-plus-eleve-que-prevu), des scientifiques1 menés par l’Institut méditerranéen d’océanographie (MIO) se sont penchés sur cette question.

Grâce aux nouvelles données acquises lors des deux campagnes océanographiques GEOTRACES de 2015 et 2016, ils ont pu établir un nouveau bilan du mercure. Ils ont estimé que les concentrations du mercure étaient plus élevées dans les eaux sortant de l’Arctique, via le courant du Groenland Est que dans celles y entrantes, via le courant du Spitzberg Ouest. Ils ont calculé que 43 ± 9 tonnes/an de mercure étaient transportés vers l’océan Arctique, tandis que 54 ± 13 tonnes/an étaient exportés vers l’océan Atlantique. Ce nouveau bilan montre donc que l’océan Arctique exporte environ 18 tonnes/an de mercure vers l’Océan Atlantique, dont 40 % sous la forme méthyle mercure.

Illustration scientifique
Bilan de mercure dans l’océan Arctique (flux en tonnes par an).

En savoir plus

Petrova, M. V.; Krisch, S.; Lodeiro, P.; Valk, O.; Dufour, A.; Rijkenberg, M. J. A.; Achterberg, E. P.; Rabe, B.; van der Loeff, M. R.; Hamelin, B.; Sonke, J.E., Garnier, C.; Heimbürger-Boavida, L.E. Mercury Species Export from the Arctic to the Atlantic Ocean. Mar. Chem. 2020, 103855. https://doi.org/10.1016/j.marchem.2020.103855

Notes

  1. Les laboratoires français ayant participé à cette étude sont les suivants : Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, CNRS / Université de Toulon / IRD / AMU), Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / CNRS / IRD / CNES) et Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE/PYTHÉAS, CNRS / Université Aix-Marseille (AMU) / IRD / Collège de France).

Contact

Lars-Éric Heimbürger-Boavida MIO/PHYTHEAS 04 86 09 06 14lars-eric.heimburger@mio.osupytheas.fr

Terre interneUne

Flux d’export du mercure en Arctique plus élevé que prévu

Des niveaux élevés de mercure (Hg) ont été observés dans la faune arctique, malgré des sources locales limitées de Hg anthropique. Les flux de Hg vers l’atmosphère et son export vers le fond marin via des particules limitent la quantité disponible pour la méthylation et la biomagnification dans les eaux de surface.

Une équipe internationale1, menée par l’Institut méditerranéen d’océanographie (MIO), a utilisé pour la première fois une combinaison de mesures de Hg et du rapport de radionucléides 234Th / 238U pour estimer le flux d’export de Hg avec des particules marines. Les chercheurs ont appliqué cette nouvelle méthode aux observations faites lors des campagnes océanographiques du programme GEOTRACES en août-octobre 2015 dans le centre de l’océan Arctique. Ils constatent qu’environ 156 tonnes par an de Hg sont exportées de la surface de l’océan, dont 28 tonnes par an sont finalement enfouies dans les sédiments marins.
Ces résultats montrent que le flux d’export du Hg est plus élevé qu’on ne le pensait et implique que le flux vers l’atmosphère doit être plus faible. Les estimations et modèles futurs du cycle du Hg en Arctique devraient donc prendre en compte ces nouvelles estimations.

Illustration du bilan de mercure dans l'océan Arctique (flux en tonnes par an).
Bilan de mercure dans l’océan Arctique (flux en tonnes par an).

Source Communication INSU : article complet

En savoir plus

Tesán Onrubia, J. A., Petrova, M. V., Puigcorbé, V., Black, E. E., Valk, O., Dufour, A., Hamelin, B., Buesseler, K. O., Masqué, P., Le Moigne, F. A. C., Sonke, J. E., Rutgers van der Loeff, M. & Heimbürger-Boavida, L.E. Mercury Export Flux in the Arctic Ocean Estimated from 234Th/ 238U Disequilibria. ACS Earth Sp. Chem. acsearthspacechem.0c00055 (2020). doi:10.1021/acsearthspacechem.0c00055

Notes

  1. Les laboratoires français ayant participé à cette étude sont les suivants : Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, CNRS / Université de Toulon / IRD / AMU), Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / CNRS / IRD / CNES) et Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE/PYTHÉAS, CNRS / Université Aix-Marseille (AMU) / IRD / Collège de France).

Contact

Lars-Éric Heimbürger-Boavida MIO/PHYTHEAS 04 86 09 06 14lars-eric.heimburger@mio.osupytheas.fr

AérologieEcologieOceanographie

Teneur en mercure dans le thon : vérifier la taille, l’espèce et l’origine !

Le mercure s’infiltre dans notre alimentation par la consommation de poissons comme le thon. Émis dans l’atmosphère par le volcanisme mais surtout par des activités humaines telles que la combustion de charbon ou l’orpaillage 1 , le mercure gazeux se dépose en effet progressivement dans les océans où une fraction y est convertie en méthylmercure. Celui-ci s’intègre alors, dans toute la chaîne alimentaire, du plancton jusqu’aux grands prédateurs comme le thon. Or le méthylmercure est une neurotoxine, une substance toxique pour le système nerveux central. Les risques pour la santé sont tout particulièrement élevés pour le fœtus et les jeunes enfants. La connaissance des niveaux de concentrations, et de l’origine du méthylmercure présent dans ce poisson très consommé, constitue donc un enjeu de santé publique d’importance.

Des seuils sanitaires rarement dépassés

Dans ce contexte, des chercheurs de l’IRD ont sollicité l’accès à une base d’échantillons mise en place par la Communauté du Pacifique (CPS), une organisation internationale qui vise au développement durable des pays océaniens. Ainsi, depuis 2001, des prélèvements de chair de thons capturés dans une large zone allant de l’Australie à la Polynésie française sont récupérés sur les bateaux de pêche par des observateurs qui recueillent aussi les informations sur la prise : sa taille, son espèce mais aussi le lieu et la date de la pêche. « Ces échantillons nous ont permis d’étudier la variation de la concentration en mercure de plusieurs espèces du Pacifique : le thon obèse, l’albacore et le thon germon  », explique Anne Lorrain, spécialiste en écologie marine au LEMAR.

Sans surprise, les plus fortes concentrations en mercure sont retrouvées dans les spécimens les plus grands 2 , ce composé s’accumulant naturellement en fonction de la taille et de l’âge des thons. Toutefois les seuils sanitaires préconisés sont rarement dépassés. Seuls 1% des prises d’albacore et de thons germons et 11% des thons obèses, et qui concernent principalement les plus gros individus (>1m), affichent des concentrations supérieures aux niveaux maximums recommandés 3 . « Au vu des bénéfices nutritionnels avérés, notamment les apports en oméga-3 qui préviennent certaines maladies cardiovasculaires, il ne faut pas bannir la consommation de thon mais seulement la modérer » , affirme Anne Lorrain.

L’importance de la profondeur

Les chercheurs ont aussi observé des différences de niveaux de mercure entre les espèces, le thon obèse présentant des concentrations plus importantes que l’albacore ou le germon. De plus, au sein d’une même espèce, les taux de mercure peuvent varier du simple au triple, voire plus, en fonction de l’origine géographique du thon pêché. « Nous pensons que la profondeur à laquelle se nourrissent les thons a un impact important sur leur concentration en mercure  »,explique l’écologue. Les thons obèses sont en effet connus pour se nourrir plus bas que les autres espèces, et ce, d’autant plus si la température de l’eau le permet. C’est par exemple le cas au sud de l’équateur, autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji, où les eaux, plus homogènes, présentent une même température sur une plus grande profondeur. Or, « les eaux les plus éloignées de la surface sont moins oxygénées et plus propices au développement de bactéries capables de transformer le mercure des océans en méthylmercure  », explique David Point, géochimiste au laboratoire Geosciences Environnement Toulouse (GET). Les chercheurs veulent désormais confirmer ces résultats en réalisant des études complémentaires dans les océans Indien et Atlantique. Avec toujours pour objectif de mieux évaluer les risques et les bénéfices de la consommation de thon capturé dans un lieu donné.

lien vers l’article IRD

Ecologie

Empreinte de l’orpaillage dans les eaux guyanaises

Une étude menée dans un bassin guyanais où sont installées des mines d’or artisanales montre la présence de mercure liée à ces activités dans l’environnement, ainsi que l’imprégnation des poissons piscivores et des communautés natives qui s’en nourrissent. Des résultats importants et novateurs pour mener des actions de prévention ciblées pour ces populations à risque et, appeler à l’adoption de techniques d’orpaillage sans recours au mercure.

 

Le mercure est un métal toxique qui peut être rejeté dans l’environnement via des processus naturels, tels que le volcanisme ou l’érosion des sols, mais aussi par les activités humaines comme l’orpaillage. Les mines artisanales et à petite échelle (ASGM, pour artisanal and small-scale gold mining ) sont celles qui contribuent le plus aux rejets de mercure : 775 tonnes ont été relâchées dans l’atmosphère en 2015 1 et 800 tonnes aboutissent dans des réserves d’eau douce 2 chaque année. Une équipe pluri-disciplinaire, dirigée par Laurence Maurice, spécialiste en géochimie environnementale à l’IRD, s’est justement intéressée à l’impact de ce type de mines d’or dans le bassin du fleuve Oyapock, située en Guyane française, le long de la frontière brésilienne, et alimentée par la rivière Camopi 3 . Ces cours d’eau drainent une surface de 24 630 km2.
Des études précédentes menées en Bolivie par la même équipe n’avaient pas réussi à détecter un apport de mercure lié directement à l’exploitation d’or alluvial car les bassins hydrographiques y sont trop grands et les dynamiques hydrologiques et sédimentaires trop puissantes. La taille restreinte du bassin de l’Oyapock, ainsi que la dynamique hydro-sédimentaire des petites criques ont permis de lever ces obstacles. « Le bassin de l’Oyapock présente surtout l’intérêt de posséder des régions orpaillées et d’autres qui ne le sont pas : c’était une caractéristique essentielle pour pouvoir évaluer les différences d’imprégnation mercurielle dans l’environnement aquatique entre les zones exploitées et celles qui ne sont pas touchées par ces activités  », explique Laurence Maurice.

La signature des isotopes

Pour leur étude, les scientifiques se sont en effet appuyés sur le fait que le mercure possède naturellement plusieurs isotopes stables 4 : suivant sa provenance, le mercure, dans un milieu donné, n’a pas la même signature – ou fractionnement isotopique -, c’est-à-dire pas les mêmes proportions entre ses différents isotopes stables. Ainsi, dans les sédiments, le mercure naturel peut être tracé par certaines valeurs de fractionnements et le mercure liquide, utilisé par les orpailleurs pour amalgamer les paillettes d’or, par des fractionnements différents. Entre mars 2010 et octobre 2013, les scientifiques ont effectué 46 prélèvements dans les sédiments, les sols et les eaux de surface. Ils ont aussi échantillonné 317 poissons et 111 cheveux humains parmi les populations Wayãpis et Teko, des communautés autochtones établies sur différents sites du bassin de l’Oyapock.

Les résultats ont mis en évidence un apparent paradoxe entre la distribution de mercure dans l’environnement et les impacts sanitaires : les zones d’orpaillage et où les poissons sont les plus concentrés en mercure ne sont pas celles où l’imprégnation humaine est la plus élevée.  « Il y a cependant une explication. À Trois Sauts, un village éloigné des sites d’exploitation de l’or, les populations natives sont contaminées du fait de leur régime alimentaire : isolées, elles ont un mode de vie très traditionnel, basé sur la chasse, la culture du manioc et la pêche. Cette communauté consomme donc régulièrement des poissons dont certains présentent de fortes concentrations en mercure. Aux alentours de Camopi, un village en amont duquel se concentrent des sites d’orpaillage, la situation est différente : il y a une épicerie et il suffit de traverser le fleuve pour atteindre la berge brésilienne, où sont regroupés de nombreux petits commerces. Les habitants ici ont donc accès à d’autres aliments, notamment industriels, ce qui réduit leur consommation de poissons », commente Laurence Maurice.

Soutenir la prévention

Les retombées de cette étude sont importantes : d’une part, parce que les chercheurs sont parvenus à quantifier l’impact de l’orpaillage sur la contamination au mercure de l’environnement aquatique (jusqu’à 70 % dans les sédiments de criques orpaillées), et d’autre part, parce qu’ils permettent de renforcer la prévention visant les populations autochtones locales. Lors de réunions de restitution, des affiches ont été distribuées en coordination avec l’Agence régionale de santé en Guyane et le Parc amazonien de Guyane, expliquant quelles espèces de poissons étaient les plus contaminées par le mercure (celles en bout de chaîne, dites piscivores) et dont il fallait éviter la consommation, notamment pendant la grossesse. « Les effets d’une exposition in utero au mercure sont irréversibles et vont d’un retard du développement mental et moteur à des malformations graves, des problèmes de vision mais aussi des atteintes du système immunitaire  », décrit la spécialiste. À partir de cette année, ce travail sera prolongé par une étude sur l’exploitation durable de l’or, cette fois-ci à l’échelle des trois Guyanes (la Guyane française, le Guyana et le Suriname).

Notes :

1. Streets et al., 2018.Atmospheric Environment.

2. Obrist, D., Kirk, J.L., Zhang, L., Sunderland, E.M., Jiskra, M., Selin, N.E.,  A review of global environmental mercury processes in response to human and natural perturbations: changes of emissions, climate, and land use. Ambio , mars 2018, 47, 116e140.

3. Sylvaine Goix, Laurence Maurice, Laure Laffont, Raphaelle Rinaldo, Christelle Lagane, Jerome Chmeleff, Johanna Menges, Lars-Eric Heimbürger, Regine Maury-Brachet, Jeroen E. Sonke, Quantifying the impacts of artisanal gold mining on a tropical river system using mercury isotopes. Chemosphere 219 (2019) 684e694

4. Isotopes  : Atomes qui possèdent le même nombre d’électrons mais un nombre différent de neutrons. Les isotopes d’un même élément ont des propriétés chimiques identiquesmais des propriétés physiques différentes.

Contact:

Laurence Maurice (GET)

Crédit photo: C. Furger

Lien vers l’actualité IRD

X