Les satellites au secours des peintures préhistoriques souterraines
Une équipe franco-espagnole impliquant des scientifiques du Centre d’Études Spatiales de la Biosphère (CESBIO/OMP) a réussi à suivre l’état de l’atmosphère d’une grotte grâce à des données satellites et une modélisation mathématique. Lorsqu’on ajoute qu’il s’agit de la grotte d’Altamira (Espagne) et que cette surveillance vise à en préserver les peintures préhistoriques, la nouvelle prend toute son ampleur. Cette prouesse est publiée dans le journal Scientific Reports.
Les institutions et services en charge de la préservation d’œuvres pariétales pourront désormais faire appel à une approche originale pour étudier l’évolution des constantes chimiques de l’air circulant dans les grottes.
Des peintures préhistoriques fragiles
La grotte d’Altamira (Cantabria, Espagne) renferme un trésor – des gravures rupestres qui dateraient de 11 000 à 35 000 ans avant notre ère – ce qui lui vaut d’être classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais les peintures pariétales sont particulièrement sensibles aux propriétés de l’air de la grotte. D’ailleurs, le site d’Altamira a déjà été fermé au public à deux reprises pour préserver ce patrimoine. Le danger vient en particulier du CO2 : son excès entraîne, entre autres, la corrosion de la roche supportant les pigments utilisés par les artistes paléolithiques. « Ce gaz provient à la fois des plantes situées à l’extérieur de la grotte et du sol à l’aplomb du site. Il est également amené par la respiration des visiteurs », explique Sylvain Mangiarotti, chercheur chaoticien1 au CESBIO et co-auteur de l’étude. Il est donc essentiel de suivre sa concentration dans la grotte afin d’évaluer le risque pesant sur les peintures, dans un lieu encore ouvert aux visiteurs, même de manière très limitée.
Relever un défi technologique grâce à la théorie du chaos
Les structures souterraines sont peu accessibles. De plus, l’installation de capteurs de CO2 dans une grotte pendant une longue période de temps est rendue complexe par l’humidité propre à ces environnements. Dans le cas d’Altamira, des mesures in situ ont bien été réalisées entre 2007 et 2013 mais ce laps de temps est trop court pour que l’intelligence artificielle puisse simuler le comportement de la grotte sur d’autres années. Comment relever le défi ? L’équipe franco- hispanique a misé sur une méthode novatrice2 développée au CESBIO et basée sur la théorie du chaos. « Cette approche vise à obtenir une formulation algébrique de la dynamique de l’atmosphère de la grotte. Pour Altamira, nous avons construit des équations reliant température extérieure, humidité du sol et concentration en CO2 », s’enthousiasme le chercheur. Puis des mesures satellitaires3 (2010 à 2023) ont été utilisées pour reconstruire la concentration en CO2 au cours de la dernière décennie avant de l’étendre sur une plus longue échelle de temps. On peut donc dire que les scientifiques ont réussi à suivre l’évolution de l’atmosphère d’une grotte depuis l’espace !
Des simulations révélatrices pour l’avenir des peintures rupestres
L’équipe a reconstruit la concentration de CO2 dans le passé, de 1950 à aujourd’hui, suivant différents scénarios, avec et sans visiteurs, ce qui n’avait jamais été fait auparavant et a permis de voir que la ventilation naturelle laisse le gaz carbonique sortir de la grotte au printemps, alors qu’il s’y accumule à l’automne. En s’appuyant sur les données du GIEC qui prévoit une augmentation globale de température de +3.5°C d’ici la fin du siècle, les scientifiques livrent des scénarios jusqu’en 2100. Ceux-ci mettent en évidence le risque d’atteindre des niveaux de CO2 dans la grotte qui pourraient de nouveau mettre en péril les peintures préhistoriques. « L‘étude projette les défis futurs, notamment dans le contexte d’une évolution climatique qui impliquerait une augmentation de la concentration de CO2 et aggraverait les risques de corrosion et de détérioration des représentations artistiques », déclare Soledad Cuezva, chercheuse à l’Instituto Geológico y Minero de España (l’IGME-CSIC) et également co-auteure de l’étude. Selon Sylvain Mangiarotti, « Même si les équations obtenues sont propres à Altamira et concernent le CO2 en particulier, l’approche est générique et ouvre des perspectives pour d’autres grottes dont les peintures seraient également menacées. D’autres problématiques, telles que la séquestration du carbone dans les sols, dans les pays du Nord comme du Sud pourraient être abordées avec des approches similaires ».
Publication
Scenarios for the Altamira cave CO2 concentration from 1950 to 2100, ASáez, M., Benavente, D., Cuezva, S. et al., Scientific Reports, 2024. DOI: 10.1038/s41598-024-60149-9
Contacts
Sylvain Mangiarotti, chercheur IRD au Centre d’Études Spatiales de la Biosphère (CESBIO/OMP – CNES/CNRS/INRAE/IRD/UT3 Paul Sabatier). Mail : sylvain.mangiarotti@ird.fr
Soledad Cuezva, IGME-CSIC. Mail : scuezva@csic.es
Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet, communication IRD. Mail : communication.occitanie@ird.fr
Notes
1 Mathématicien spécialiste de la « théorie du chaos »
2 Plateforme GPoM qui permet d’obtenir des modèles sous forme d’équations différentielles directement à partir de séries de mesures ; particulièrement adaptée aux problèmes à prévisibilité limitée très caractéristique des dynamiques atmosphériques
3 SMOS pour l’humidité du sol / Aqua pour la température de surface
Source IRD