Les minéraux synthétiques au cœur des relations entre Imerys et le CNRS
Avec 170 sites employant plus de 14 000 personnes dans près de cinquante pays, Imerys est leader mondial des minéraux pour l’industrie. Leur extraction et leur transformation posent un certain nombre de difficultés, auxquelles les laboratoires CNRS, dont le GET (Géosciences Environnement Toulouse), apportent des solutions innovantes. Deux unités tests ont ainsi été mises en place pour synthétiser, en quelques secondes, du zircon, du talc ou d’autres silicates.
Les minéraux ont été façonnés par la nature sur des millions d’années, mais la science a trouvé des raccourcis. Certains matériaux peuvent être synthétisés, aussi bien pour en produire davantage que pour leur donner de nouvelles propriétés. Numéro 1 des solutions à base de talc, Imerys possède ainsi huit centres technologiques dédiés à l’innovation, répartis dans sept pays. Ces laboratoires rassemblent environ trois cents chercheurs et techniciens.
Imerys exploite par exemple la carrière de Trimouns en Ariège. Le talc, la roche la plus tendre qui existe, est utilisé dans les plastiques, la peinture ou encore l’agriculture et la céramique. Naturellement, il est cependant mêlé à d’autres minéraux et doit être trié, ce qui n’est possible que jusqu’à un certain point, insuffisant pour certaines applications.
« L’appui de chercheurs du CNRS et d’universitaires est essentiel sur les questions les plus pointues. », déclare Frédéric Jouffret, vice-président science & technologie d’Imerys pour les minéraux de performance. « Nous avons des partenaires académiques dans de nombreux pays, mais notre quartier général est à Paris et nous restons attachés à la France et à sa recherche de haut niveau. »
Et cette recherche avance à grands pas. Cyril Aymonier, directeur de recherche CNRS à l’ICMCB1 , est un spécialiste de la synthèse chimique et du recyclage des matériaux en milieux supercritiques. Les fluides deviennent « supercritiques » lorsqu’ils sont soumis à des conditions spécifiques de température et de pression, qui font qu’il n’est plus possible de distinguer les phases liquides et gazeuses. À partir de 374 degrés et 221 bars, par exemple, l’eau devient supercritique et solubilise les huiles mais plus les sels, ce qui est l’exact inverse de ses propriétés connues dans les conditions normales de température et de pression.
Cyril Aymonier et ses collègues développent ces approches pour obtenir des oxydes utiles à la microélectronique, des supports pour catalyseurs, des diodes électroluminescentes ou encore des matériaux pour l’énergie. Mais en plus de fournir des matériaux destinés aux technologies de pointe, les fluides supercritiques offrent un moyen de synthétiser des produits naturels.
Par le biais de CNRS Innovation, Imerys, l’ICMCB et l’équipe de François Martin2 du GET3 se sont associés sur cette thématique. « Le talc met plus d’un million d’années à se former, mais nous parvenons, avec de l’eau supercritique à 400 degrés et 250 bars, à en synthétiser en seulement vingt secondes. », explique Cyril Aymonier.
Ce talc synthétique est d’une bien meilleure pureté chimique et minéralogique que ce qui peut être extrait des gisements. Il est également hydrophile, au lieu d’être hydrophobe, ce qui pourrait lui permettre d’interagir avec d’autres matériaux que ce qui est actuellement possible. L’entreprise s’en sert notamment dans les plastiques automobiles, afin de leur conférer le juste équilibre entre rigidité et résistance aux chocs, tout en allégeant le véhicule. Dans l’industrie du pneumatique, le talc améliore l’imperméabilisation de la couche barrière, et l’allègement du pneu, ce qui bénéficie à la consommation du véhicule. Imerys emploie ce minéral comme agent opacifiant et alternative au dioxyde de titane dans les peintures et les revêtements. Il réduit également le temps et la température de cuisson des céramiques.
Deux unités pilotes
Ces travaux ont abouti à l’inauguration, en juillet 2017, d’une unité pilote de production de talc synthétique réunissant Imerys, l’ICMCB et le GET. Ces recherches sont notamment issues de la thèse CIFRE, dirigée par Cyril Aymonier et François Martin, de Marie Claverie. Soutenu en 2018, ce doctorat a donné naissance à sept publications scientifiques et cinq brevets. Marie Claverie a remporté plusieurs prix de thèse.
« Notre procédé offre une production très contrôlable, qui peut être industrialisée. », poursuit Cyril Aymonier. « De la même manière, il est possible de synthétiser en quelques dizaines de secondes, en fonction des solvants supercritiques et des réactifs utilisés, des géominéraux qui servent par exemple à fabriquer de nouvelles générations de ciments verts. »
Une autre unité pilote a été installée dans le Centre technologique Imerys de Lyon en s’appuyant sur une vingtaine de brevets détenus par Imerys. Le procédé, appelé « synthèse hydrothermale en processus continu », fournit de l’alumine, du zircon et des silicates. Ces matériaux peuvent aider à l’absorption de polluants dans l’air et l’eau ou à la fabrication d’écrans. Cette méthode utilise l’eau comme solvant et n’a pas de déperdition.
« Le transfert technologique est fascinant dans cette aventure avec Imerys. », se réjouit Cyril Aymonier. « J’ai commencé à travailler avec le GET en 2014 et Imerys en 2015, et, dès 2017, nous avons inauguré l’unité pilote sur la synthèse continue supercritique du talc. En 2022, ça a été au tour de l’installation chez Imerys, à plus grande échelle, sur la production de géominéraux. » Les quantités produites sont encore faibles, mais ces plateformes préparent le passage à une échelle industrielle. Des discussions sont également en cours pour utiliser les technologies supercritiques dans le recyclage des matériaux et des synthèses consommant moins d’énergie. De quoi réduire l’empreinte carbone dans un esprit d’économie circulaire.
« Les collaborations avec les chercheurs et chercheuses académiques sont essentielles, car ce sont eux qui nous démontrent la valeur, scientifique et financière, de travaux très en amont. », souligne Frédéric Jouffret. « Grâce à cela, nos unités pilotes parviennent à produire des minéraux aux propriétés modifiées, qu’il n’est pas possible d’obtenir autrement qu’avec ces technologies. »
« Notre collaboration avec Imerys est une belle illustration de valorisation des travaux issus des laboratoires sous tutelle CNRS, mais aussi du potentiel extraordinaire des relations partenariales nouées dans la durée avec nos partenaires économiques. Nous avons construit avec Imerys une relation de confiance, qui a donné naissance à des innovations dans le domaine des technologies supercritiques et à terme, au passage à une échelle industrielle. », conclut Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS.
Notes
1 Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP).
2 Professeur à l’Université Toulouse III Paul Sabatier.
3 Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP- CNRS/CNES/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier).
Source CNRS info