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Des microplastiques jusque dans les profondeurs océaniques

Les débris plastiques sont omniprésents dans l’océan. On les retrouve même dans le tube digestif des poissons-lanternes, ces poissons bioluminescents des abysses. Une équipe franco-brésilienne – impliquant des scientifiques du Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS/OMP) – a analysé la morphologie des plastiques ingérés et les facteurs écologiques ou biologiques qui influencent cette contamination en Atlantique tropical sud-ouest.

Le contenu du tube digestif des poissons bioluminescents des profondeurs renseigne les scientifiques sur le taux de contamination en microplastiques du milieu marin.

Double plongée : dans les fonds marins et dans les tractus digestifs

Seulement 9 % des 400 millions de tonnes de plastiques produits par an sont recyclés… Les 91 % restants vont polluer l’environnement, en particulier les océans qui représentent 70 % de la surface du globe. La pollution plastique n’y est d’ailleurs pas concentrée uniquement dans les célèbres « continents » de plastiques mais répandue en surface et en particulier en profondeur. De plus, comme il peut mettre plus de 400 ans à se décomposer totalement, ce matériau se fragmente en particules1 de plus en plus petites, ce qui favorise sa dispersion. Pas étonnant qu’elles se retrouvent jusque dans les tubes digestifs d’espèces des grands fonds ! Afin de mesurer le taux de contamination de poissons au large des côtes brésiliennes, des chercheurs en écologie marine tropicale ont capturé des poissons-lanternes au cours de la mission multidisciplinaire Acoustics along the BRAzilian COaSt 2 (ABRACOS2) à bord du navire océanographique français Antea. Leurs résultats sont publiés dans Science of the Total Environment. « Nous avons inventorié le contenu des tractus digestifs de 364 individus appartenant à 9 espèces très abondantes de la famille des Myctophidés », racontent Guilherme Ferreira et Anne Justino, jeunes chercheurs au laboratoire BIOIMPACT de l’Université Fédérale Rurale de Pernambuco (UFRPE), partenaire et co-responsable du LMI TAPIOCA.

Echantillon de poissons pêchés dans l’Océan Indien © IRD – Roudaut, Gildas
Contamination en eau profonde

« La présence de microplastiques a été détectée dans 68 % des poissons analysés, poursuivent les scientifiques. Les gros microplastiques, principalement de forme filamenteuse, étaient les plus fréquents, suivis des fragments plus petits et des mousses. » Le transport biologique des débris plastiques vers les profondeurs marines est donc confirmé. Les auteurs de l’étude ont classé les contaminants en fonction de leur taille, de leur couleur et de leur composition afin d’en étudier la répartition dans les poissons en fonction de plusieurs paramètres : jour/nuit, profondeur, éloignement de la côte, comportement migratoire, régime alimentaire. De façon étonnante, la couleur bleue était la plus représentée – 49 % des particules retrouvées –  suivie par le blanc (35 %). Par ailleurs, la taille des microplastiques était inversement corrélée à la distance à la côte.

Échantillons de plastiques qui sont ensuite broyés et réduits en poudre © IRD – CNRS – Thibaut Vergoz
Victimes de leur comportement alimentaire

Certains Myctophidés sont connus pour pratiquer des migrations verticales : dans la journée, ils restent dans la zone de moyenne profondeur tandis qu’à la nuit tombée, ils remontent entre 150 et 200 m sous la surface. D’autres poissons-lanternes tirent leur nourriture de ce qui tombe vers le fond. L’étude a montré que ce comportement migratoire ainsi que le type de proies étaient deux paramètres majeurs influençant le taux de microplastiques ingérés par les individus. « Plus ils se nourrissent dans les eaux profondes, plus ils sont contaminés… et ceux qui consomment des larves de poissons sont plus sujets à l’ingestion de microplastiques que leurs homologues se nourrissant de crustacés et de zooplancton », explique Flavia Lucena, directrice du laboratoire BIOIMPACT. Un autre facteur a été mis en évidence : les espèces à mâchoire plus longue avaient un risque majoré de contenir des microplastiques. C’est ainsi que les taux de contamination allaient de 55 % pour les moins impactées, à 93 % pour les plus contaminées. « Ces résultats amènent à nous questionner sur la contamination par les fractions plus petites de plastique, dont les nanoplastiques, les oligomères et les additifs contenus dans les plastiques comme les phtalates et les bisphénols. Ces échelles de taille impliquent une migration potentielle vers les tissus et le système endocrinien des individus, donc une toxicité pour l’espèce, et un risque lors de sa consommation par les humains », ajoute Vincent Fauvelle, chercheur IRD en chimie environnementale au LEGOS.

Macro-déchets de plastiques © IRD – Hubert Bataille

Publication

Influencing factors for microplastic intake in abundant deep-sea lanternfishes (Myctophidae), Ferreira G. V. B., Justino A. K. S., Eduardo L. N., Schmidt N., Martins J. R., Ménard F., Fauvelle V., Mincarone M. M., Lucena-Fredou F., Science of the Total Environment, 2023. DOI : 10.1016/j.scitotenv.2023.161478


Contacts

Vincent Fauvelle, Chargé de Recherche IRD au Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS-OMP/CNRS/CNES/IRD/UT3 Paul Sabatier,Météo France). Mail : vincent.fauvelle@ird.fr

Guilherme Ferreira, BIOIMPACT, UFRPE. Mail : guilherme.vbf@gmail.com

Communication IRD : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet. Mail : communication.occitanie@ird.fr


Note

1 microplastiques < 5mm ; nanoplastiques < 0,001 mm


Source IRD

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