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L’âge du cuivre dans l’Atacama

Une équipe de l’IRD et ses partenaires réalisent la première datation directe d’un gisement de cuivre. En analysant ce minerai issu du désert d’Atacama au Chili, les scientifiques avancent dans la compréhension du climat et du relief de cette région.

Situé au nord du Chili, le désert d’Atacama est la région la plus aride du monde. C’est aussi celle où est extrait près du tiers de la production mondiale de cuivre. Ce précieux minerai chilien est le fruit de deux processus successifs : des minéralisations primaires dites hypogènes, en profondeur, liées aux remontées magmatiques de porphyre cuprifère, puis, en surface, des minéralisations secondaires dites supergènes dues à l’érosion et au lessivage par les eaux de pluie. C’est sur ces dernières que Zia Steven Kahou, doctorant ivoirien en géologie au laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET), et une équipe internationale de chercheurs ont réalisé une première mondiale. « Nous avons procédé à la datation directe des minéralisations supergènes de cuivre par une méthode originale », annonce Zia Steven Kahou qui a fait de ce sujet l’objet de sa thèse débutée en 2017. Jusqu’à présent, seuls des procédés indirects, c’est-à-dire la datation de minéraux voisins, étaient utilisés pour dater le cuivre. « Nous avons utilisé une méthode existante pour l’appliquer à de nouveaux minéraux, ce que personne n’avait tenté sur ce genre de minéraux auparavant », nuance Stéphanie Brichau, géologue à l’IRD au GET et co-directrice de la thèse.

Couches de minéraux, formés par minéralisations successives en cuivre supergène de Mina Sur (Chuquicamata), observées en microscopie optique en lumière polarisée analysée. © S. Kahou & S. Duchêne

Laser et isotopes à la rescousse

Appelée U-Pb du nom des deux éléments impliqués, la méthode est basée sur la quantité d’uranium et de plomb contenue dans des échantillons de cuivre. À l’instar du 14C  (lire « carbone 14 ») présent dans les matières organiques, certains isotopes de l’uranium présents dans des minéraux, dont le cuivre, se désintègrent progressivement pour devenir du plomb. Le rythme de ces désintégrations étant connu, les mesures de l’uranium restant et du plomb résultant de cette désintégration permettent de dater précisément la formation du cuivre. La quantification de ces éléments est faite à l’aide des techniques d’analyses dite LA-ICPMS. Un laser pulvérise le minéral et un spectromètre de masse permet de compter les isotopes. Stéphanie Brichau précise : « Cela fait une vingtaine d’années que nous savons utiliser un laser pour dater un minéral. Avec l’amélioration des techniques, nous sommes aujourd’hui capables de détecter d’infimes quantités d’uranium, ce qui nous permet de dater des minéraux qui en contiennent peu, comme le cuivre ».

Grâce aux échantillons prélevés dans le district minier de Chuquicamata, au Chili, les auteurs ont pu déterminer l’âge du cuivre de l’Atacama : 19 millions d’années ! © S. Duchêne
Grâce aux échantillons prélevés dans le district minier de Chuquicamata, au Chili, les auteurs ont pu déterminer l’âge du cuivre de l’Atacama : 19 millions d’années ! © S. Duchêne

Historiens de la Terre

Grâce à ces technologies – et à l’initiative de les appliquer sur le cuivre de l’Atacama – , l’équipe de l’IRD a ainsi pu dater les minerais chiliens. « Nous avons ainsi déterminé que le cuivre supergène de l’Atacama est âgé de dix-neuf millions d’années , révèle Zia Steven Kahou. 
Cette datation aidera à faire le lien entre la formation du cuivre et l’évolution du climat de la région. Ainsi, le processus de lessivage par les eaux de pluie qui a engendré le gisement étudié a donc eu lieu plus de 10 millions d’années après la mise en place du porphyre (il y a 35 millions d’années) et la phase majeure d’érosion dans la région (35-30 millions d’années). Il marque une période pendant laquelle l’Atacama n’était pas encore le désert hyperaride qu’il est aujourd’hui. 
« Les géologues sont des historiens de la Terre. Dans notre démarche, il y a toujours cette dimension de reconstitution d’une histoire et nous essayons de la comprendre pour comprendre comment fonctionne la planète. Dater des évènements est donc fondamental, souligne Stéphanie Duchêne, professeure d’université au GET et seconde co-directrice de la thèse de Zia Steven Kahou. La datation que nous avons pu obtenir grâce à la collaboration avec nos partenaires de l’université Catholique du Nord au Chili et de Géosciences Rennes dans le cadre du LMI COPEDIM1 devrait donc permettre de mieux contraindre la période controversée à laquelle l’hyperaridité de la région s’est mise en place (entre 15 et 6 millions d’années selon les estimations), sous l’effet à la fois de l’évolution des courants océaniques et de la mise en place des reliefs. »
Après l’Atacama, l’équipe s’est lancée dans la datation des minerais supergènes de cuivre à Gaoua au Burkina Faso. Le but ? Vérifier que la datation selon cette technique est réalisable dans un autre contexte de formation du minerai et procéder à un comparatif avec le contexte du désert chilien.


1. Le laboratoire mixte international (LMI) se focalise sur l’évolution géomorphologique des surfaces d’érosion (appelées pédiments) dans les chaînes de montagnes (les Andes) et la relation possible entre le développement de ces surfaces et la concentration de certains métaux tels que le cuivre. Plus d’infos : https://copedim.obs-mip.fr/

Actualité IRD réalisée par Pascal Nguyên

Sources :

Z.S. Kahou, S. Brichau, M. Poujol, S. Duchêne, E. Campos, M. Leisen, F.-X. d’Abzac, R. Riquelme et S. Carretier, First U-Pb LA-ICP-MS in situ dating of supergene copper mineralization: case study in the Chuquicamata mining district, Atacama Desert, Chile, Mineralia Deposita, 7 février 2020

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