Des océans pauvres en phosphore ont limité l’oxygénation de l’atmosphère précambrienne
Le cycle biogéochimique du phosphore joue un rôle majeur sur la production primaire, et par conséquent sur l’enfouissement sédimentaire de carbone organique et la libération d’oxygène atmosphérique. Les modèles indiquent des niveaux d’oxygène atmosphérique stables et très faibles pendant la majeure partie du Protérozoïque (2.5 à 0.54 milliards d’années), mais les liens entre le cycle du phosphore et la production d’O2 dans ces temps anciens sont peu connus. En analysant la distribution du phosphore dans des roches sédimentaires, cette étude a reconstruit les teneurs en phosphore biodisponible dans les océans protérozoïques, mettant en évidence un déclin en phosphore océanique, il y a un milliard d’année. Les résultats remettent en perspective l’évolution chimique des océans et du cycle du phosphore, et ses conséquences sur la production d’O2 avant l’oxygénation globale de la surface terrestre.
La Grande Oxygénation de l’atmosphère (~2,4 milliards d’années) a bouleversé l’histoire de notre planète. Pourtant, les modèles indiquent que les niveaux d’O2 sont restés stables et faibles pendant les ~1.8 milliards d’années qui l’ont précédé. Pourquoi un laps de temps si important dans l’histoire de l’oxygénation de la planète ? Une équipe de chercheurs français (Toulouse), britanniques (Leeds, UCL et Exeter) et chinois (Nanjing) s’est penchée sur la question en étudiant la distribution du phosphore dans des sédiments marins de cette longue période de temps.
L’analyse de roches sédimentaires du Protérozoïque (2.5 à 0.54 milliards d’années) a permis d’estimer les teneurs en phosphore biodisponible dans les océans anciens. Le phosphore est un nutriment essentiel à toute forme de vie, et son cycle est intimement lié à la production d’oxygène atmosphérique. Le cycle du phosphore joue un rôle primordial sur la production primaire dans les océans, et par conséquent sur le flux de carbone organique vers le fond des océans. Quand le carbone organique est enfoui dans les sédiments, il ne peut plus réagir avec l’oxygène, qui s’échappe ainsi dans l’atmosphère. Donc, aux temps géologiques, qui dit phosphore dit… oxygène. Les deux puits principaux de phosphore, la matière organique et les oxydes de fer, sont modulés par la chimie de l’océan. Par exemple, en présence d’O2 (comme aujourd’hui), la dégradation de la matière organique permet le relargage de phosphore dans la colonne d’eau. En milieux anoxique (comme dans les océans anciens), ce recyclage est amoindri.
L’étude révèle que dans les océans qui précèdent la Grande Oxygénation, le relargage de phosphore dans la colonne d’eau était intense, dû au caractère anoxique et riche en sulfure d’hydrogène (H2S) des marges continentales. A l’inverse, la disparition des zones riches en -H2S) au profit de conditions riches en fer, vers 1 milliard d’années, a permis le déclin massif en phosphore océanique, enfoui dans les sédiments lors du dépôt d’oxydes de fer. Ces conditions ont limité la production primaire et le flux de carbone organique, maintenant la production d’oxygène à des niveaux vraisemblablement plus bas qu’à la période précédente. Ainsi, la limitation en phosphore semble être la cause, et non la conséquence, des faibles niveaux d’oxygène du Protérozoïque.
Sources
Guilbaud, R., Poulton, S.W., Thompson, J., Husband, K.F., Zhu, M., Zhou, Y., Shields, G.A., Lenton, T.M., 2020. Phosphorus-limited conditions in the early Neoproterozoic ocean maintained low levels of atmospheric oxygen. Nature Geoscience, in press