Des grains de sable plus ou moins lumineux…
Dans les sédiments, la mesure de la luminescence naturelle des particules constituées de quartz ou de feldspath est à la base d’une méthode de datation appelée OSL (Optically-Stimulated Luminescence), qui permet de dater les formations sédimentaires récentes dans l’histoire de la Terre (globalement plus récentes de 500 000 ans). Cela en fait une méthode de choix pour l’étude des paysages (géomorphologie, tectonique active) et des paléoclimats du Quaternaire, pour l’archéologie, la paléoanthropologie, etc. Cependant un des problèmes de cette méthode est qu’elle donne parfois des résultats questionnables, en particulier pour la datation des sédiments d’origine fluviatile, en raison d’un problème de remise à zéro du signal de luminescence des particules avant leur dépôt (phénomène appelé « blanchiment ») qui reste très mal compris. En effet, si en théorie le blanchiment est très rapide lorsque les particules sont transportées (il suffit pour cela qu’elles soient exposées moins d’une minute à la lumière du soleil), en pratique des âges surestimés sont très fréquents pour les dépôts fluviatiles en raison d’un très mauvais blanchiment des particules avant leur dépôt.
A partir d’une étude conjointe de géomorphologie et de géochronologie OSL menée sur le fleuve Rangitikei (Nouvelle Zélande), une équipe internationale pilotée par Stéphane Bonnet du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET-OMP, CNRS/IRD/UT3 Paul Sabatier) montre que le blanchiment des grains de sable transportés dans les fleuves et la variabilité du signal de luminescence mesuré dans les dépôts fluviatiles (terrasses) qui en résulte, sont contrôlés au premier ordre par la dynamique d’érosion des reliefs et du transport fluviatile. Il est montré en particulier que le blanchiment des particules est contrôlé par la vitesse d’incision des fleuves, via un contrôle de cette vitesse d’incision sur le nombre de cycle d’érosion-transport des grains de sable avant leur abandon définitif au sein des dépôts d’une terrasse fluviatile. Ainsi lorsque la vitesse d‘incision d’un fleuve est rapide, les particules subissent un nombre limité de cycle d’érosion-transport, ce qui aboutit à un très mauvais blanchiment des particules et à des âges OSL erronés. À l’opposé les particules sont mieux blanchies lorsque les vitesses d’incision sont faibles et les âges obtenus sont alors plus cohérents. En plus de fournir un cadre explicatif aux âges anormaux fréquemment observés pour les dépôts fluviatiles, il ressort de cette étude qu’en plus de fournir des informations sur l’âge des sédiments, le signal de luminescence, et en particulier sa variabilité, permet d’obtenir des informations inédites sur la dynamique des reliefs et du transport des particules dans les réseaux de rivières, en liaison avec la fréquence des cycles d’érosion-transport. Cela ouvre des nouvelles perspectives pour quantifier les transferts de matière à la surface des continents sur les échelles de temps du millier à la dizaine de milliers d’année.
Ce travail a été financé par le programme Tellus-Syster de l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS.
Contact:
Stéphane Bonnet
Référence:
Bonnet, S., Reimann, T., Wallinga, J., Lague, D., Davy, P., and Lacoste, A., 2019. Landscape dynamics revealed by luminescence signals of feldspars from fluvial terraces Scientific Reports, v. 9, 856, https://doi.org/10.1038/s41598-019-44533-4