Va-t-on connaître plus ou moins de cyclones avec le changement climatique ? Une question d’importance pour gérer les risques qu’ils entrainent ! Entre 2014 et 2020, à La Réunion, Françoise Vimeux, climatologue à l’IRD, et ses partenaires ont mis en évidence que les pluies cycloniques possèdent une signature chimique particulière. C’est une avancée majeure car elle permet de mieux comprendre ces phénomènes et leur évolution dans différents climats et, à terme, permettra des prévisions plus fiables.
Selon l’Organisation météorologique mondiale, sur ces 50 dernières années, on compte trois cyclones tropicaux parmi les dix catastrophes naturelles les plus meurtrières. Par ailleurs, selon le 6e rapport du GIEC, le réchauffement climatique engendrerait des cyclones plus intenses et plus pluvieux, à l’origine de submersions marines plus fortes. En revanche, des incertitudes demeurent sur l’évolution de leur fréquence.
Pour mieux comprendre les liens entre climat et cyclones, Françoise Vimeux, climatologue à l’IRD dans l’unité Hydrosciences Montpellier, et son équipe1 ont analysé pendant six ans la composition isotopique des précipitations et de la vapeur d’eau à l’Observatoire atmosphérique du Maïdo à La Réunion.
Les différentes formes de la molécule d’eau pour comprendre les cyclones
Les molécules d’eau sont formées d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène. Ces éléments chimiques peuvent avoir des variantes (appelées isotopes) selon le nombre de particules neutres dans leur noyau. Cela donne lieu à des types différents de molécules d’eau, dites lourdes ou légères, qui se comportent différemment lors de processus comme la formation de la pluie, la formation de glace dans les nuages ou l’évaporation de la pluie. La proportion de ces types différents s’appelle la signature isotopique. Ainsi les molécules d’eau lourdes s’évaporent moins facilement et restent plus longtemps dans les gouttes de pluie, processus qui participe au maintien, à l’intensification et à la propagation des cyclones. Aussi est-il possible d’étudier ces événements climatiques majeurs en mesurant, via la spectroscopie laser2, l’évolution de la proportion relative de toutes les molécules d’eau dans la pluie et dans la vapeur d’eau lors du passage d’un cyclone.
Moins de molécules lourdes dans les pluies cycloniques
De précédentes études menées dans d’autres régions avaient montré que la signature isotopique des pluies de cyclones est beaucoup plus pauvre en molécules lourdes que celles dues à un orage quelconque. « Cette fois, nous avons procédé à l’analyse de près de 700 évènements de pluie pendant et en dehors des cyclones. Nous avons échantillonné quatorze cyclones très différents en matière de trajectoire, d’intensité et de position par rapport à l’île de La Réunion. Ce nombre de cyclones échantillonnés sur un même site pendant plusieurs années constitue l’originalité et la robustesse de notre étude, souligne Françoise Vimeux. Nous avons montré que la composition isotopique des pluies moyennée sur une année est entièrement contrôlée par le nombre de cyclones passés sur l’ile ou à proximité (jusqu’à 800 km) pendant l’année considérée : plus le nombre de cyclones est élevé, plus la composition isotopique annuelle est appauvrie. »
Cela signifie « que nous avons un outil performant pour reconstruire la fréquence des cyclones dans le passé à partir d’archives de la composition isotopique des pluies, comme les sédiments lacustres. Nous pourrons confronter les reconstructions paléoclimatiques aux simulations climatiques pour des périodes futures plus chaudes et des périodes passées plus froides et distinguer quels sont les modèles de climat les plus justes », ajoute Françoise Vimeux.
Des prévisions cycloniques plus fiables
Mais, pourquoi observe-t-on un appauvrissement isotopique aussi fort dans les pluies cycloniques ? « C’est en cherchant à répondre à cette question que nous nous sommes aperçus que nos mesures isotopiques dans la vapeur apportaient des informations sur le fonctionnement des processus physiques à l’intérieur (comme l’évaporation partielle de la pluie dans les bandes nuageuses spiralées2) et à l’extérieur des cyclones (comme la pluviométrie au niveau régional). »
À court terme, une meilleure compréhension de ces processus permettra de mieux les représenter et ainsi de déployer des prévisions cycloniques plus performantes. « Si d’énormes progrès ont été réalisés ces dernières années sur la prévision de la trajectoire des cyclones, il reste difficile de prévoir précisément leurs variations d’intensité. Leur montée en puissance dépend en effet de paramètres physiques se manifestant à des échelles très variées, allant de plusieurs dizaines de kilomètres autour des cyclones jusqu’à l’intérieur même des systèmes orageux. En poursuivant ces travaux, notre objectif est de progresser sur la compréhension de ces processus et ainsi de mieux appréhender les phénomènes d’intensifications rapides » précise Christelle Barthe, physicienne de l’atmosphère au laboratoire d’aérologie à Toulouse.
Publication
Is the isotopic composition of precipitation a robust indicator for reconstructions of past tropical cyclones frequency? A case study on Réunion Island from rain and water vapor isotopic observations, Françoise Vimeux , Camille Risi , Christelle Barthe, Soren François, Alexandre Cauquoin , Olivier Jossoud , Jean-Marc Metzger, Olivier Cattani, Benedicte Minster & Martin Werner, Journal of Geophysical Research: Atmospheres, 2024. DOI : 10.1029/2023JD039794
Contacts
Françoise Vimeux, HSM (IRD/CNRS/Université Montpellier). Mail : francoise.vimeux@ird.fr
Christelle Barthe, Laboratoire d’aérologie (Laero/OMP). Mail : christelle.barthe@aero.obs-mip.fr
Julie Paysant, journaliste pour IRD le Mag’
Notes
1 En coopération, entre autres, avec l’Institut Pierre-Simon Laplace et le Laboratoire d’aérologie à Toulouse
2 Bandes de nuages qui s’enroulent autour du centre des cyclones tropicaux
Source IRD