Source IRD Le Mag
Des vents de marées de surface, générés dans la zone de friction entre courants de marée et la partie la plus basse de l’atmosphère, ont été identifiés dans la Manche. Cette existence, qui devrait être confirmée pour d’autres zones du globe sujettes à de fortes marées, ouvre des perspectives en matière de modélisation climatique mais aussi dans le domaine de l’éolien en mer.
Nos paysages côtiers évoluent au rythme des marées océaniques, ces variations de la hauteur du niveau des océans causées par les forces gravitationnelles du Soleil et de la Lune. Leurs impacts sur la machine océanique sont déjà bien décrits : parce qu’elles affectent la dissipation d’énergie et le mélange des masses d’eau dans l’océan, ces marées ont des effets importants sur la circulation générale océanique, notamment sur les grands courants marins comme le Gulf Stream. L’influence de l’atmosphère sur l’océan a été lui aussi bien documenté, mais pas forcément l’inverse. « Comme les vents de surface se déplacent bien plus vite que les courants créés par les marées, on a longtemps négligé l’impact que pouvaient en réalité avoir ceux-ci sur la partie basse de l’atmosphère », explique Lionel Renault, chercheur au Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales de Toulouse (Legos).
Friction et interactions atmosphère/océan
Avec son collègue Patrick Marchesiello également au Legos, le chercheur s’est justement penché sur cette question. Ils se sont intéressés à la Manche, située entre le sud de l’Angleterre et le nord de la France. L’intérêt ? Dans cette zone, les courants générés par les marées comptent parmi les plus forts et les plus complexes au monde, et ceux-ci sont bien documentés par des séries de données accumulées depuis trente ans déjà. Pour démontrer l’hypothèse selon laquelle les courants de marées pouvaient entrainer l’atmosphère au niveau de leur zone de friction, et évaluer l’énergie des marées ainsi dissipée, les scientifiques ont eu recours à des données in situ, relatives aux marées, aux vents, etc. ainsi qu’à des simulations à haute résolution, d’un maillage d’un kilomètre.
Bloc de texte
« Nous avons couplé des modèles numériques à la fois atmosphérique et océanique afin de mieux prendre en compte, au-delà des comportements de l’atmosphère et de l’océan indépendamment l’un de l’autre, les interactions entre ces deux compartiments. Les études précédemment menées sur ces interactions s’intéressaient essentiellement aux interactions liées à la température de surface de la mer ; ici nous allons plus loin en regardant l’effet des courants de surface sur la dynamique des courants et de l’atmosphère », explique le chercheur. Le modèle océanique utilisé, baptisé CROCO, pour Coastal and Regional Ocean COmmunity model, est bien connu des scientifiques de l’IRD et de ses partenaires : c’est une plateforme de modélisation de l’océan régional et côtier utilisant des approches multi-échelles, et servant à plus d’un millier d’utilisateurs, dont environ la moitié dans les pays du sud, et l’autre moitié répartis entre l’Europe et les États-Unis.
Une vitesse de 1,5 mètres par seconde !
« Nous avons démontré que les marées océaniques peuvent entraîner l’atmosphère en générant un régime de vent jusqu’à présent méconnu, qu’on appelle les “vents de marée de surface”, résume Lionel Renault. Ces vents induits par les marées s’étendent à travers la couche limite atmosphérique, qui est la partie la plus basse de l’atmosphère, tout en dissipant une partie de l’énergie de la marée .» Leur vitesse, si elle reste basse, n’est en rien négligeable : 1,5 mètres par seconde environ, soit un tiers de celle des courants de marées sous-jacents. « Ces résultats ont été une surprise car nous n’avions pas imaginé que les vents générés par les marées puissent être aussi importants. Pour se rendre compte, il faut réaliser que leur intensité est équivalente à l’effet du changement climatique sur les vents, qui est de l’ordre de 1 mètre par seconde », s’enthousiasme le chercheur.
Outre les retombées de cette étude pour affiner les modélisations climatiques, des applications pourraient également être déclinées dans le domaine éolien. « Pour produire de l’énergie éolienne, il ne faut pas avoir un vent constant, mais plutôt un vent intermittent. Les emplacements idéaux des éoliennes en mer pourraient être affinés en fonction des zones où les vents de marée sont les plus importants », avance le chercheur. Car ces résultats ne s’arrêtent bien évidemment pas à la Manche et peuvent être globalisés à des zones semblables, sujettes à de fortes marées : les mécanismes permettant la génération de ces vents de marées de surface pourraient très certainement se produire également sur les côtes canadiennes, argentines, de l’Alaska, à l’embouchure de l’Amazonie ou encore sur les côtes nord de l’Australie.
PUBLICATION
Lionel Renault, Patrick Marchesiello, Ocean tides can drag the atmosphere and cause tidal winds over broad continental shelves, Communications Earth & Environment, 25 mars 2022 ; DOI : 10.1038/s43247-022-00403-y
CONTACTS
- Patrick Marchesiello, LEGOS (IRD/CNRS/Cnes/Université Toulouse 3 Paul Sabatier) Retrouvez les publications de Patrick Marchesiello
- Lionel Renault, LEGOS (IRD/CNRS/Cnes/Université Toulouse 3 Paul Sabatier) Retrouvez les publications de Lionel Renault