Article IRD Le Mag’
Une équipe de recherche internationale vient de démontrer, grâce à la combinaison d’informations obtenues par satellites et sur le terrain, la possibilité de mieux comprendre le fonctionnement global d’un bassin hydrographique comme celui du fleuve Congo, de ses multiples sous-bassins et affluents.
L’hydrologie étudie les fleuves, les bassins versants ou encore le cycle de l’eau. Depuis ses origines, cette discipline s’est nourrie de données récoltées sur le terrain, mesurant les niveaux et les débits des cours d’eau, leur profondeur, la surface qu’ils couvrent. Depuis les années 2000, elle a mis à son service une autre technologie : la télédétection satellitaire, qui permet d’observer les variables hydrologiques depuis l’espace. En combinant des données in situ et satellitaires, une équipe internationale1 vient de décrire les caractéristiques hydrologiques du bassin du fleuve Congo, qui s’écoule sur 4 700 kilomètres en Afrique centrale, traçant les frontières naturelles entre la République démocratique du Congo, la République du Congo et l’Angola.
Complémentarité des données
« Bien que le bassin du fleuve Congo soit le deuxième plus grand au monde, derrière l’Amazone, son fonctionnement reste assez mal connu, explique Fabrice Papa, directeur de recherche au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (Legos) et co-auteur de ce travail. Nous disposons pourtant de séries de données sur environ un siècle, récoltées grâce à des stations d’observation qui ont été installées sur le terrain. Mais le nombre de celles-ci a drastiquement été réduit pour tomber actuellement à une quinzaine de stations, couvrant difficilement les trois millions de kilomètres carrés du bassin. »
En cause : le coût élevé pour entretenir ces infrastructures, la complexité à organiser des déplacements vers leurs emplacements parfois difficiles d’accès, etc.
Résultat : non seulement sur le bassin du fleuve Congo, mais aussi à l’échelle globale, le nombre de relevés in situ ne fait que décliner d’après le Global Runoff Data Centre, véritable bibliothèque des données hydrologiques compilant plus de 200 ans d’archives mondiales.
« Les données satellitaires ne doivent pas être vues comme une façon de pallier ce manque, car nous aurons toujours besoin des données in situ, précise Benjamin Kitambo, dont la thèse est co-encadrée par le Legos et le Centre de recherche en ressources en eau du Congo (CREEBaC) de l’université de Kinshasa. Pour s’assurer que les informations recueillies depuis l’espace sont plausibles, il nous faut en effet comparer celles-ci avec des données récoltées sur le terrain. Les dernières générations d’altimètres satellitaires, les « Sentinel », qui ont été lancés à partir de 2016 dans le cadre du programme européen spatial Copernicus, ont permis de faire de réels progrès, avec une marge d’erreur inférieur à 10 cm sur les mesures de la hauteur de l’eau par exemple. »
Fort de cette concordance entre données du ciel et de terrain, le jeune scientifique, qui s’apprête à partir prochainement en mission sur les rives du fleuve Congo, a participé avec ses collègues au développement de quelque 2 300 stations virtuelles, soit des stations n’ayant pas d’existence physique au sol mais dont les caractéristiques hydrologiques sont mesurées à chacun des passages des satellites.
De premiers résultats
« Ces stations virtuelles permettent de couvrir tout le bassin et les données obtenues nous donnent accès à une compréhension globale du fonctionnement de l’ensemble du bassin et de ses sous-bassins, alors qu’il n’était jusque-là connu que partiellement », se réjouit Benjamin Kitambo.
La dynamique des crues a également été précisée, et notamment la contribution de chacun des sous-bassins et des affluents du Congo aux pics biannuels survenant au moment des deux saisons des pluies. Le trajet de l’eau pour gagner les capitales Brazzaville et Kinshasa depuis différents points du bassin peuvent prendre jusqu’à trois mois, ont aussi estimé les scientifiques.
« Les résultats de notre étude et la combinaison des données in situ et satellitaires vont aussi contribuer à développer des modèles pouvant prévenir les risques, les aléas, la montée des eaux d’un endroit à un autre du bassin, à l’instar de ce qui se fait aujourd’hui en météorologie, espère Fabrice Papa. Pour se faire, les agences spatiales devront s’engager dans le développement de satellites permettant le recueil de données quotidiennes – du fait de l’orbite des satellites actuels, aujourd’hui nous avons au mieux accès à des données tous les 10 jours. » En attendant, les scientifiques espèrent beaucoup de la mission SWOT. Menée par le Cnes et la Nasa, celle-ci sera la première dédiée à l’étude des eaux de surface continentales et permettra de déterminer les variations de leur hauteur, mais aussi leurs étendues et leurs débits, avec une précision inégalée. Lancement prévu cette année !
- Ces travaux s’inscrivent dans le cadre d’une coopération entre l’IRD, l’Agence française de développement (AFD), le Centre national d’études spatiales (Cnes), la Commission internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha (CICOS) et l’Office international de l’eau (OIEau).
Source actualité IRD Le Mag’
Publication
Une utilisation combinée des observations in situ et dérivées des satellites pour caractériser l’hydrologie de surface et sa variabilité dans le bassin du fleuve Congo
Benjamin Kitambo, Fabrice Papa, Adrien Paris, Raphael M. Tshimanga, Stéphane Calmant, Ayan Santos Fleischmann, Frédéric Frappart, Mélanie Becker, Mohammad J.Tourian, Catherine Prigent, & Johary Andriambeloson, A combined use of in situ and satellite-derived observations to characterize surface hydrology and its variability in the Congo River basin, Hydrology and Earth System Sciences, 12 avril 2022 ; doi:10.5194/hess-26-1857-2022
Contacts
- Benjamin Kitambo, Legos (IRD/Cnes/CNRS/Université Toulouse 3) & Centre de recherche en ressources en eau du Congo (CRREBaC)
- Fabrice Papa, Legos (IRD/Cnes/CNRS/Université Toulouse 3)
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