Amérindiens de Guyane contaminés par deux métaux toxiques
Source : actualité IRD
Les niveaux d’exposition au plomb et au mercure sur le territoire guyanais sont très préoccupants. Aussi un grand programme en santé environnementale traite aujourd’hui de cette question. Des scientifiques dont des géochimistes du GET* font le point sur les sources de ces deux métaux toxiques et sur les concentrations retrouvées dans le sang d’enfants amérindiens.
Face aux atteintes graves à la santé des populations guyanaises, il devenait urgent de comprendre comment des métaux toxiques se retrouvent dans l’organisme des hommes, femmes et enfants vivant sur les berges du fleuve Oyapock, éloignés de tout centre urbain.
Concentrations en plomb dépassant le seuil toléré
Le plomb (Pb) est toxique pour les organismes vivants. Chez l’humain, il est responsable de troubles du système nerveux et digestif. Du fait de son caractère neurotoxique, les populations les plus à risque sont les enfants et les femmes enceintes. Le premier cas de saturnisme? infantile en Guyane a été détecté en 2011. Cela a été le point de départ des études destinées à comprendre les sources spécifiques d’exposition au plomb dans ce département ultramarin. Des échantillons sanguins d’enfants de 3 à 11 ans vivant dans 14 villages le long du fleuve Oyapock ont été prélevés. « Les concentrations en plomb dépassaient toutes le seuil toléré par le CDC?, s’alarme Laurence Maurice, auteure de l’étude. Elles étaient jusqu’à sept fois supérieures à 50 μg/L ». Le taux d’incidence du saturnisme dans la population guyanaise est près de soixante fois plus élevé qu’en métropole et les enfants sont particulièrement touchés.
Des sources d’alimentation qui concentrent les métaux lourds
Ces populations sont doublement contaminées car également exposées au mercure (Hg) naturellement présent dans les sols et diffusé dans l’environnement par les activités humaines telles que la déforestation, sans parler de l’utilisation de ce métal par les orpailleurs qui le rejettent soit sous forme gazeuse dans l’atmosphère, soit directement dans les sols et les cours d’eau alentours. Le métal s’y transforme en un composé neurotoxique absorbé et accumulé dans les poissons des fleuves Oyapock et Maroni.
Or les poissons constituent une part importante de l’alimentation des amérindiens. « Les chairs des poissons en fin de chaîne trophique? concentrent cette molécule et les humains qui les consomment sont le dernier maillon », explique la chercheuse. Le mercure est toxique même à faible dose. Chez les enfants, il provoque des retards de croissance et de développement psychomoteur. Quant au plomb, l’analyse d’échantillons de sol, de tubercules de manioc, de boissons et d’aliments préparés à base de manioc, montre que c’est également l’alimentation la source principale de l’intoxication. Certains tubercules de manioc – base des repas amérindiens – se révèlent particulièrement concentrés ainsi que la viande de gibier prélevée près des impacts de balles (plomb de chasse).
Co-construction de solutions adaptées aux populations
Face à ces risques, scientifiques et responsables de santé publique s’organisent en concertation avec les populations locales concernées. Dès 2004, la Préfecture de Guyane a prononcé l’interdiction de l’utilisation du mercure dans le cadre de l’exploitation aurifère. Grâce en particulier, aux premiers résultats de Laurence Maurice et ses collaborateurs.trices sur l’exposition au mercure et au plomb de ces populations amérindiennes, l’Agence Régionale de Santé de la Guyane a saisi le Haut Conseil pour la Santé Publique.
En conséquence, le Ministère de la Santé a mis en place un grand programme en santé environnementale en Guyane « Stratégie Métaux Lourds en Guyane française » (StraMeLo). Participant à plusieurs groupes de travail de StraMeLo, la géochimiste dévoile le fonctionnement du programme : « Il s’agit de répondre au défi lié à la double exposition au Hg et au Pb dans le respect des savoirs traditionnels des populations guyanaises, en co-construisant avec elles des solutions permettant d’adapter leurs habitudes alimentaires et pratiques culturelles pour réduire leur exposition à ces métaux toxiques. Ces solutions vont d’une meilleure identification et compréhension des sources d’exposition, à la co-construction de recommandations avec les populations amérindiennes jusqu’à la surveillance épidémiologique et à la prise en charge des intoxications. »
* équipe G3, Géoressources, Genèse et Gestion durable
Publication
Maurice L., Barraza F., Blondet I., Ho-A-Chuck M., Tablon J., Brousse P., Demar M., and Schreck E., 2021. Childhood lead exposure of Amerindian communities in French Guiana: an isotopic approach to tracing sources. Environmental Geochemistry and Health, 1-17. https://doi.org/10.1007/s10653-021-00944-9
Aller plus loin : Ouvrage Indiens de Guyane : Wayana et Wayampi de la forêt
Contact science :
- Laurence Maurice, IRD, GET laurence.maurice@ird.fr
Contact communication :
- Fabienne Doumenge & Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr